jeudi 9 avril 2020

Yoga et confinement

Bonjour à toutes et à tous,
Je voudrais maintenant vous laisser la parole.

J’ai reçu depuis le début du confinement de nombreux témoignages sur votre façon de vivre cette période contrainte  et sur  votre façon de vous approprier  - ou pas – la pratique du Yoga.
Tout ce que vous avez écrit  - vos difficultés, hésitations, tâtonnements, expérimentations, réussites –  tout cela est susceptible d’inspirer et de soutenir d’autres personnes. Voilà pourquoi je ne voulais pas conserver ces témoignages pour moi seul.

De mon coté, je vous remercie de m’avoir donné de vos nouvelles.  Ainsi, la distance géographique n’affecte pas la relation personnelle que j’ai avec chacune et chacun de vous.
Christian Ledain
Professeur de la Fédération Française de Hatha Yoga
---------------------------------------------------------------------------------------


Vos témoignages sur la pratique du Yoga pendant le confinement
Je sens que la pratique du yoga m'aide à avancer dans ces situations complexes. D'autant plus difficiles pour moi que je dois faire face au décès de ma belle-mère et aider mon compagnon à surmonter cette épreuve.

Tous les matins, je fais la séance de 15min, comme vous la décrivez. Comme vous le dites à chaque cours, je sens que la motivation est la partie essentielle: être en bonne santé, se faire du bien pour pouvoir en faire aux autres. Cette notion de prendre soin des autres me touche particulièrement, c'est vraiment important pour moi, que les autres se sentent bien, que je puisse les aider à aller mieux/bien, et encore plus en ce moment.

Lors de mes exercices de yoga matinal, je prends un moment pour pratiquer l'exercice de guérison, que vous nous aviez enseigné lors d'un téléthon (prendre l'énergie des éléments et "l'envoyer" à d'autres êtres). (Marie)

Cette situation de confinement nous donne du temps pour réfléchir à ce qui est vraiment essentiel dans la vie. (Gemma)

Comme beaucoup de personnes je suis en télétravail et pour le moment je supporte bien le confinement. 

En revanche je n’ai pas encore réussi à faire du yoga. Je sais que c’est essentiel pour moi mais je fais un blocage. Je me noie dans le travail et n’arrive pas à prendre le temps. (Catherine)

Votre soutien et vos conseils pour la pratique mettent de la chaleur dans ces jours tragiques pour certains d entre nous.  Les vidéos « super »  !!! (Dominique) 

Personnellement, je réalise depuis lundi dernier une séance d'environ 15min tous les matins et cela me fait un bien fou. (Claire)

La semaine commence bien avec vous ! J'ai pratiqué avec ma fille ce matin. C'est plus facile de pratiquer avec la vidéo et de petits exercices/consignes. (Frédéric)

Je ne souffre pas trop du confinement,  j'ai l'esprit occupé durant la journée par mon travail. Et puis j'ai le réflexe de m'accorder quelques minutes plusieurs fois par jour pour la pratique méditative et les grandes salutations au soleil . (Sylvie)
J'ai fait suivre la vidéo sur les souffles subtils à certains de mes collègues, cloîtrés chez eux en télétravail et qui étaient intéressés.  Je suis sûr que cela peut leur apporter la meilleure aide qui soit. (Daniel)

Ce moment de confinement me fait réaliser avec joie que venir faire du yoga il y a de cela 7 ou 8 ans a été une décision qui a changé  ma vie à bien des égards. 

J'essaye de pratiquer une fois par jour pas forcément en m'appuyant sur des postures. Je repensais à vos remarques sur l'association du yoga et du ménage notamment.

C’est effectivement une bonne motivation. (Nathalie) 

En cette période qui est propice à repenser ses habitudes et à faire la part des choses entre essentiel et superflu pour aller vers une existence plus équilibrée et  plus heureuse, le yoga m'aide à garder le cap au quotidien et à apporter une écoute et de l'assistance vers mes proches pour lesquels la situation présente des risques. Egalement, un grand merci  pour me permettre d'accéder aux immenses bienfaits et possibilités de la discipline sur un chemin que j'emprunte de plus en plus régulièrement et qui présente une infinité de possibilités de découvertes et d'expériences comme un tour du monde de soi-même (Aline) .

Je vous souhaite de passer les semaines de confinement qui suivent dans les meilleures conditions, sur lesquelles certes notre environnement a un impact mais surtout que notre psychisme et notre moral peuvent créer. (Anne)

Grâce à vos communications je me sens soutenue et cela me donne un cadre. Cela réactive aussi ce que je sais déjà : le yoga est là pour nous. (Christine)

La pratique du yoga est chaque jour un moment précieux pour moi et imprègne la journée, l'esprit et le corps.

J'ai lu avec intérêt les articles que vous avez signalés. Cela fait déjà beaucoup de bien de retrouver la couleur de vos cours dans ces écrits, ce qui fait le cœur de ce que vous nous transmettez.

Et j'ai eu beaucoup d'intérêt à découvrir d'autres choses. C'est le moment de le faire. Par exemple, la notion de karma (mon idée à ce sujet était assez vague).(Françoise)

Je guettais votre mail 😉. Depuis quelques jours déjà je pratique chaque matin l’harmonisation des 5 chakras et l’équilibrage des souffles subtils. (Marie-Amélie)

Me concernant je pratique chaque jour une méditation, la purification des canaux, ainsi que  la " vision du beau paysage" (équilibre des grands éléments dans le corps), et puis parfois quelques salutations au soleil (Sandrine)

Merci pour cet entraînement de yoga qui nous aidera à profiter au mieux de ce temps qui nous est offert pour travailler notre auto discipline, repenser notre relation aux autres et à nous même, méditer sur le sens de la vie et partager une pensée empathique avec ceux qui travaillent dans des conditions difficiles en ce moment ou ceux qui souffrent d'une manière ou d'une autre du coronavirus.(Jacqueline)

Votre envoi me conforte dans l’idée que notre discipline est importante dans la vie. C’est aussi un grand plus de s aider tous.( Dominique) 

Je pratique chaque jour et fais faire aussi des pratiques simples à mes parents et mon fils avec qui je suis confinée... Le confinement nous offre un temps pour méditer sur la vie et la mort, sur la compassion et l’impermanence, entre autres ...   (Justine) 

Je pensais à vous ces derniers jours et me disais que vous nous aviez préparés dans vos cours à vivre les temps faciles , mais aussi ceux difficiles. (Aude)

Depuis le début de cette période particulière j’ai (enfin !) mis en place une pratique quotidienne et si j’avais eu des doutes sur les bienfaits du yoga ils auraient été définitivement levés !! 

Un de ces bienfaits a été, pour la grande anxieuse que je suis, sentir progressivement depuis 6 ans cette anxiété nettement diminuée .  Cette période provoque évidemment quelques petites rechutes  mais maitrisées et de moins en moins fortes (je n’ose pas imaginer mon état sans les cours  : )    (Sandrine

relaxation anti stress

Bonjour à toutes et à tous,
  
Je vous joins une video portant sur une relaxation anti stress qui répond à une demande qui m’a été faite. En cette période de confinement, il nous est en effet très facile de générer de l’inquiétude, de l’énervement et du stress.
  
  
Cette video pourra utilement s’insérer  dans votre journée, par exemple en soirée : elle vous permettra alors de vous préparer à une nuit de sommeil plus paisible et plus réparatrice.
  
De façon très souple, vous pouvez désormais avoir plusieurs petits  « rendez-vous » journaliers avec le Yoga. Ainsi, le matin, vous pouvez cultiver l’excellente motivation, pratiquer l’entrainement au calme mental, et peut être accomplir des salutations au soleil. A un autre moment de la journée, il vous est possible de vous entrainer  sur les souffles subtils. Puis, en fin d'après midi mettre en œuvre  la relaxation anti stress.
  
Cette succession de courtes pratiques va ainsi vous aider à structurer votre journée, ce qui est essentiel en cette période où nos habitudes se trouvent bouleversées.
  
Les différents supports de pratique que je vous envoie sont volontairement accessibles à tout le monde. De cette façon vous pouvez les mettre en œuvre en famille, ce qui vous permettra de partager une activité avec votre conjoint, ou vos enfants. Vous pouvez aussi les envoyer à vos parents, ou à vos amis, et de cette façon continuer à développer des relations chaleureuses et aidantes malgré l’éloignement géographique.
  
Enfin, je voudrais remercier toutes celles et ceux qui m’écrivent et me font part de leur façon personnelle d’intégrer le Yoga dans leur vie afin de dépasser cette période difficile pour tout le monde.
  
Je vous souhaite une excellente journée
  
Christian LEDAIN
Professeur de la Fédération Française de Hatha Yoga

la notion de réincarnation

Historiquement, le Yoga constitue un des sat darshana, un des six points de vue philosophiques sur le monde, énoncé par l’hindouisme. Chacun de ces sat darshana poursuit un objectif commun : mettre un terme au cycle des renaissances, appelé  samsara.  En effet, chaque être vivant, à travers différentes conditions d’existence, est amené à reprendre naissance des milliards et des milliards de fois. Comme dans ces différents états, les êtres y font l’expérience de la souffrance, ils cherchent nécessairement à s’en échapper. Le Yoga constitue donc une des voies qui mène à la cessation de la souffrance.

Maintenant, il n’est pas indispensable à un pratiquant occidental d’adhérer à la théorie de la réincarnation pour s’engager avec succès dans la pratique du Yoga. Il existe, en effet, différents niveaux de pratiquants, lesquels poursuivent des aspirations plus ou moins élevées. Il serait ainsi regrettable, pour une raison doctrinale, de  s’empêcher de profiter de bienfaits élémentaires, rapidement accessibles, sur le plan général de la santé, tant physique que mentale.

Par-delà même l’intérêt que l’on porte au Yoga, réfléchir à la réincarnation, aux fondements de cette théorie,  s’avère d’un intérêt capital pour un Occidental  qui pourra trouver dans ces réflexions un grand apaisement intérieur. En effet, dans une société où la mort est devenue tabou, où l’attachement aux nouvelles technologies fait ressurgir l’espoir de réparer l’être humain, et avec lui le rêve fou de l’immortalité, le refoulé ressurgit nécessairement sous forme d’angoisse. Réfléchir posément, en profondeur, à la réincarnation, c’est offrir à l’être humain une perspective plus souriante que l’horrible constat pascalien : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête et en voilà pour jamais. 

I La théorie de la réincarnation


L’idée générale est assez simple : la personne humaine se compose d’un corps physique et d’une conscience. Au moment de la mort, le corps se sépare de la conscience. Le corps se dégrade et  vient, comme le dit Baudelaire, «  rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint② *», t
andis que l’esprit demeure et vient s’unir à un nouveau corps.

Le terme réincarnation n’est pas vraiment approprié car l’esprit ne vient pas nécessairement s’associer à un corps fait de chair (du latin caro), perceptible par nos cinq sens. Il existe, en effet, différents modes d’existence, dont certains, tels que les êtres humains et les animaux, possèdent un corps physique, tandis que d’autres, tels que les êtres infernaux et les esprits avides, n’en possèdent pas.

Le terme de transmigration est plus approprié car il englobe un champ plus vaste : il indique simplement que quelque chose passe d’une existence à l’autre, sans toutefois préciser si ce « quelque chose » s’associe à un corps matériel, ou bien à un corps plus subtil. Cependant, comme le terme de réincarnation est celui qui nous est le plus familier, pour éviter toute préciosité, nous le retiendrons ici.

Il existe différentes conceptions de la réincarnation dont rendent compte plusieurs traditions spirituelles. La première distinction porte sur ce qui se réincarne : les adeptes de l’hindouisme considèrent qu’il s’agit de l’âme (atman en sanskrit), tandis que le bouddhisme parle du continuum mental.

Examinons brièvement ces deux points de vue.

·         La conception hindouiste


La conception hindouiste de la réincarnation est exposée de façon synthétique dans un extrait du Mahabharata, la Bhagavad Gitâ, récit psalmodié journellement par des millions d’Indiens, texte aussi sacré au cœur des Hindous que les Evangiles le sont pour les Chrétiens. Dans ce texte, l’enseignement que va dispenser Krishna prend place dans un contexte dramatique qui touche chacun de nous au plus profond. Compte tenu de son caractère poignant, universel et déterminant, il convient de le rappeler ici à grands traits.
Bhagavad Gîta : Arjuna et Krishna sur le champ de bataille
 
Un combat se prépare à Kurukshétra entre deux clans, les Pandavas et les Kauravas, tous deux issus d’une même famille. Un des Pandavas, le prince Arjuna, s’apprête à livrer bataille sur son char, mais il est soudain pris d’une angoisse qui le paralyse.  «  O Krishna, quand je vois les miens désireux de combattre, préparés, mes membres défaillent, ma bouche se dessèche, le frisson s’empare de mon corps, mes poils se hérissent, mon arc Gâdhîva me tombe des mains, ma peau est brulante, je ne puis tenir debout et mon esprit semble pris de vertige » (I, 28-29-30). Un psychiatre moderne trouverait sans doute dans ces vers une description précise d’une attaque de panique.

Arjuna ne tremble pas pour sa propre vie qui est en danger, mais pour celle d’êtres aimés, membres de sa famille.  « Et le fils de Partha , debout, vit dans les deux armées adverses, ses père, grand-père, maitres, oncles maternels, frères, fils, petits fils ou compagnons, beaux-frères et amis »( I, 26-27)

Il est ainsi animé d’une compassion intense et qualifie de crime intolérable cette guerre contre les membres de sa propre famille. Mu par la non-violence, il refuse donc de combattre, même si les membres du camp adverse le provoquent, préférant ainsi subir une injustice plutôt que d’en commettre une. «  Ceux-là, ô destructeur de Madhu, même s’ils me frappent, je ne désire pas les frapper, fut-ce pour la royauté des trois mondes, encore bien moins pour celle de la seule terre » (I, 35)

Arjuna dénonce un acte injustifiable à ses yeux, fondé au surplus sur de vils motifs. «  Hélas ! Malheur ! Nous étions déterminés à commettre un grand crime puisque, convoitant la royauté et le plaisir, nous nous apprêtions à tuer les nôtres » (I, 45)

Entendant ce discours d’Arjuna, Krishna, son conducteur de char, va alors lui répondre fermement. A travers ce Chant du Seigneur Bienheureux ,  Krishna révèle sa véritable nature : il est la manifestation du grand dieu Vishnou, celui qui préserve l’ordre de l’univers. Krishna expose ainsi les éléments de la sagesse du brahmanisme : Arjuna craignait de commettre un crime, mais, en réalité, il ne va tuer personne. « En vérité, jamais ne fut le temps où je n’étais pas, ni toi, ni ces chefs de peuples ; et plus tard, ne viendra pas celui où nous ne serons pas » (II, 12)

Le corps seul disparait au moment de la mort, mais l’âme, non née, ne meurt pas. « Le non-être n’accède pas à l’existence, l’être ne cesse pas d’exister ». (I, 16) « Ces corps ont une fin ; l’esprit qui s’y incarne est éternel, indestructible, incommensurable ». (II, 18) « A la façon d’un homme qui a rejeté des vêtements usagés et en prend d’autres, neufs, l’âme incarnée, rejetant son corps usé, voyage dans d’autres qui sont neufs » (II, 22)

Krishna définit alors les caractéristiques de l’âme. « Elle ne peut être ni coupée, ni brulée, ni mouillée, ni desséchée ; nécessaire, omniprésente, stable, inébranlable, elle est éternelle » (II, 24)  « Ces corps ont une fin ; l’esprit qui s’y incarne est éternel, indestructible, incommensurable. Voilà ce qu’on proclame. C’est pourquoi combats, Fils de Bharata. » (II, 18)

Krishna enjoint ainsi à Arjuna de livrer bataille car tel est son devoir, en raison de son appartenance à la caste des guerriers, les Kshatriyas.

Ainsi, dans la conception hindouiste, c’est l’atman (âme) qui se réincarne. Niant l’existence de l’âme, le bouddhisme parle, lui, d’un continuum de conscience.

·         La conception bouddhiste


Un autre courant de pensée issu de l’Inde, le bouddhisme, enseigne que ce qui transmigre est un continuum, une succession d’instants de conscience.

L’argumentation  de base est la suivante.

En observant la nature, on constate que tout phénomène résulte nécessairement d’une pluralité de  causes et de conditions. Ainsi, un chêne ne peut exister que si un gland a été mis préalablement dans une terre suffisamment fertile et a reçu l’ensoleillement et la quantité de pluie appropriés.

La relation qui unit un phénomène et sa cause est particulière : la cause et la conséquence sont nécessairement consubstantielles, c’est-à-dire de nature identique. Ainsi un chêne ne pourra jamais procéder d’un noyau de pêche, de prune, ou d’un pépin de raisin : seul un gland sera à son origine.

Tous les phénomènes , sans aucune exception, obéissent à un tel principe, y compris les phénomènes mentaux. Ainsi,  l’instant de conscience que j’expérimente en ce moment trouve son origine dans l’instant de conscience qui l’a immédiatement précédé, lui-même découlant de l’instant de conscience immédiatement antérieur, et ainsi de suite. Je peux donc remonter, en toute logique, une seconde en arrière ;  puis tout aussi logiquement, une minute, une heure, une journée, un mois, une vie même en arrière. Si je suis cohérent, je dois également reconnaitre qu’au sortir du ventre de ma mère, l’instant de conscience que j’expérimentais alors, en ouvrant les yeux, tirait son origine de l’instant immédiatement antérieur. Et je remonte ainsi tout le cours de ma vie intra-utérine.

Sans lâcher le fil d’Ariane de mon raisonnement, je considère alors qu’au moment où l’ovule et le spermatozoïde, issus du corps de mes parents, se sont rencontrés, cette union a été à l’origine de la première division cellulaire qui a ensuite créé mon corps physique actuel. Mais l’instant de conscience que j’expérimentais alors ne pouvait trouver son origine que dans l’instant de conscience immédiatement précédent. Et je remonte ainsi à ma vie antérieure, et ainsi de suite, vie après vie. Ainsi d’une vie à l’autre, le corps change, mais le continuum de conscience demeure. En toute bonne logique, il n’y a ainsi pas de commencement à la conscience : je reprends naissance depuis des temps sans commencement.

A un moment donné, conscient de cette situation, lassé d’expérimenter la souffrance, je décide de m’engager fermement dans la voie qui mène à la Libération du cycle des existences.

Telle est, brossée à grands traits, notre condition humaine selon le bouddhisme.

Une telle conception est proprement vertigineuse. Elle n’en n’est pas moins d’une rigueur logique implacable.

Nous avons ainsi rappelé les bases sur lesquelles la discussion relative à la théorie de la réincarnation peut maintenant s’engager.

La réincarnation n’est pas qu’une question de croyance, de déterminisme culturel, ou plus simplement encore de gout. C’est une conception solide, argumentée, rationnelle, basée sur des principes rigoureux.

Comme toute théorie, elle a ses détracteurs, et c’est bien légitime : ce dialogue est le signe d’une vie de l’esprit,  un mouvement de l’intelligence humaine. Examinons donc, afin de nous faire une idée plus assurée, et peut être même nous forger une conviction, les arguments présentés en faveur et en défaveur de la réincarnation.

II Pro et contra


Commençons par examiner la validité des arguments hostiles à la réincarnation.

21. Les arguments opposés à la réincarnation


On peut en identifier facilement trois.

211 L’argument d’autorité


Un tel argument consiste à adopter un certain point de vue, simplement parce qu’une autre personne, jugée supérieure à soi, l’a exposé. Il s’agit d’une soumission à l’avis d’autrui qui se résume ainsi : «  Je récuse la notion de réincarnation parce que telle personne affirme qu’elle n’existe pas. »

Dans la mesure où le catholicisme demeure la religion dominante en France,  et que son influence sur le plan des idées a été déterminante depuis plusieurs siècles, nous présenterons ici son point de vue sur la réincarnation, même si l’attitude d’autres courants de pensée mériterait incontestablement d’être aussi relevée.

Le catholicisme récuse la notion de réincarnation. Il se fonde pour cela sur une proposition incise de l’Epitre aux Romains, (chapitre 9, 27), dont l’auteur reste anonyme* : «  Et comme les hommes ne meurent qu’une fois, après quoi il y a le jugement, »

Les textes officiels actuels qui exposent la doctrine de l’Eglise, à savoir  La constitution dogmatique sur l’Eglise, Lumen Gentium, et Le Catéchisme de l’Eglise catholique, se réfèrent uniquement à cette affirmation lapidaire de l’Epitre aux Hébreux pour justifier le rejet de la réincarnation. Ainsi, aucun argument rationnel ne fonde-t-il cette thèse. Tel est le dogme énoncé par l’Eglise sur cette question.

Nous relèverons, par ailleurs, et c’est essentiel, qu’à aucun moment le Christ ne se prononce dans les Evangiles, ni en faveur, ni à l’encontre de la réincarnation. Il ne dit simplement rien sur ce sujet.

212 L’argument tiré de l’expérience


Prenant maintenant appui sur son expérience individuelle, une  personne peut nier la réalité de la réincarnation. Cet argument peut s’exprimer ainsi : « La réincarnation n’existe pas car je n’en ai aucune perception : je ne me souviens d’aucune vie antérieure ». C’est là un sentiment général. Cela suffit-il pour autant à forger une conviction ?

Une réponse de bon sens peut aisément être apportée à cet argument : « ce n’est pas parce qu’on n’a pas la perception d’un phénomène, qu’un tel  phénomène n’existe pas ». Un aveugle qui nierait l’existence du soleil, au prétexte qu’il ne le voit pas, ne convaincrait que peu de personnes, sauf d’autres aveugles, bien entendu.

Un phénomène peut ne pas être perçu par nos sens parce qu’il est trop proche, ou trop lointain, ou trop subtil. Le progrès technologique a ainsi permis la fabrication d’un télescope tel que Hubble,  suffisamment  puissant pour observer de lointaines galaxies que l’on n’identifiait pas il y a trente ans. Elles n’en existaient pas moins pour autant à cette époque. De la même façon, la fabrication de microscopes au XIXème siècle n’a pas « inventé » les microbes, mais a seulement permis leur observation.

Examinons donc maintenant le troisième type de raison.

213 la mise en doute des capacités intellectuelles : malhonnêteté et dérangement mental


Un autre argument tenu à l’encontre de la réincarnation consiste à décrédibiliser celles et ceux qui reconnaissent son existence. Un tel argument peut s’exprimer ainsi : « Ceux qui prétendent que la réincarnation existe sont des charlatans ou des fous. » Faute d’atteindre le contenu du message, il s’agit alors de récuser le messager.

·         Tromperie

La malhonnêteté consisterait à affirmer l’existence de la réincarnation, alors qu’on saurait pertinemment qu’un tel phénomène est dépourvu d’existence. 

A cette accusation il peut être répondu qu’une personne qui s’efforce de tromper autrui cherche, par ce biais, à obtenir un avantage qu’elle n’obtiendrait pas autrement. Le trompeur manipule autrui pour obtenir de l’argent, du pouvoir, des faveurs, ou simplement attirer l’attention sur soi, gagner une forme de célébrité.

Comment lever un tel doute concernant les qualités morales du locuteur ? Prendre le temps d’examiner longtemps, et en profondeur, son comportement quotidien. Seulement ainsi s’apercevra-t-on qu’il ne cherche nullement à nous tromper.

·         Trouble mental

Le dérangement mental invoqué consisterait à s’illusionner soi-même, en toute bonne foi, parce que les capacités intellectuelles de la personne sont altérées.

A cette accusation, il pourra être répondu par l’avis d’un psychiatre : cet expert attestera que la personne qui affirme l’existence de la réincarnation ne présente aucun trouble mental.

Voici les arguments traditionnellement opposés à la théorie de  la réincarnation. Nous espérons les avoir exposés honnêtement afin que chacun puisse se faire une juste opinion de leur valeur.

Examinons maintenant les arguments exposés en faveur de la réincarnation.

 

22 Les arguments en faveur de la réincarnation


Là encore, plusieurs arguments peuvent être avancés.

 

221 Une croyance fondée sur une théorie cohérente


La connaissance des vies antérieures fait partie des capacités développées par les Yogis. Ce « pouvoir » (siddha) découle d’une maitrise de la concentration. Patanjali l’a d’ailleurs énoncé très clairement autour du IVe siècle ap. JC dans les Yoga Sutra : « En amenant les tendances innées (à la surface de la conscience), (on acquiert) la connaissance des vies passées » (YS III, 18)

Pour Patanjali, nos actes laissent une empreinte dans notre esprit. Ces dépôts se trouvent engrangés dans le psychisme et donnent ainsi  des tendances innées (samskara) qui colorent la personnalité de chacun. Grâce à des niveaux très profonds d’absorption méditative, le Yogi peut percevoir ces tendances et, dans la mesure où ces dernières constituent des empreintes du passé, il peut le remonter et connaitre ses vies antérieures.

On trouve des maitres faisant état d’une telle connaissance dans des traditions spirituelles diverses : hindouisme, jaïnisme et bouddhisme. Ceci n’a rien d’étonnant : ces courants de pensée recourent à des exercices yoguiques comparables, à la mise en œuvre de pratiques méditatives intenses et partagent la même croyance en la réincarnation.

Dans la mesure où le yoga constitue fondamentalement une discipline pratique, nous renvoyons l’étude approfondie de la pensée hindoue, jaïne ou bouddhiste à des centres spécialement dédiés à ces enseignements.

A de ce premier argument favorable à la réincarnation, relatif à la cohérence intellectuelle, s’en ajoute un deuxième qui porte sur les expériences faites par certaines personnes.    

 

222 Les témoignages qui attestent l’existence de la réincarnation


Deux types de témoignages valides existent à propos de la réincarnation : ceux relatés par des êtres ordinaires et ceux effectués par des êtres ayant développé de très grandes capacités mentales.

2221 les témoignages d’êtres ordinaires

L’importance de ces témoignages, et du travail qui a été mené récemment autour d’eux, notamment par J-P. Schnetzler, est capitale puisqu’elle a fait sortir la réincarnation du domaine de l’ésotérisme, de la foi ou du merveilleux  poétique, pour entrer dans le champ des sciences humaines.

Ian Stevenson,  psychiatre canadien, professeur à l’université de Virginie, a consacré trente années de sa vie à recueillir 2600 témoignages d’enfants attestant l’existence de la réincarnation. Se livrant à la vérification détaillée des propos qui lui étaient relatés, Stevenson a publié 64 cas particulièrement étayés. Vingt sont accessibles en langue française depuis 2007*.

Stevenson a entrepris ses recherches dans plusieurs pays, ceux où la fréquence de tels témoignages est relativement importante : Inde, Sri Lanka, Thaïlande, Birmanie et Liban. Au Liban, où la population musulmane druze ne rejette pas la théorie de la réincarnation, la fréquence du souvenir d’une vie antérieure y atteint son apogée : 1 cas sur 500 enfants nés.

Les recherches portent sur des témoignages de très jeunes enfants (entre 2 et 4 ans) car de tels souvenirs s’effacent rapidement, surtout s’ils font l’objet d’une désapprobation familiale ou sociale. Par ailleurs, pour procéder à la vérification de ces témoignages, il est plus facile de remonter de quelques années en arrière, plutôt que de quelques décennies !

Ces enfants, hormis les propos dérangeants qu’ils tiennent, ne présentent pas de caractéristiques particulières : ni intelligence précoce, ni « pouvoir » spécial, tel qu’intuition, préscience, clairaudition, clairvoyance, capacité à léviter … Ce sont en tous points des êtres ordinaires.

De leur vie passée, pas d’évènement notable à citer, hormis le fait que dans 61 % des cas observés par Stevenson, ces existences s’achevèrent de façon violente : accident, suicide ou meurtre. De telles circonstances dramatiques, l’impossibilité de vivre la vieillesse qui permet de prendre de la distance par rapport à la vie présente, pourraient expliquer le très fort attachement de ces êtres à leur vie antérieure, d’où le souvenir de cette existence passée qui subsisterait dans l’existence présente.

Pour donner une idée d’un exemple-type de ces récits, tel enfant prétend s’appeler « en réalité » autrement que le nom que ses parents viennent de lui donner. Il affirme être marié avec telle personne, avoir lui-même des enfants portant tels prénoms, exercer tel métier.  Si l’enfant répète ce propos avec suffisamment d’insistance, si ses parents ne le rabrouent pas trop, et s’ils ont même la patience de se déplacer au village indiqué, parfois éloigné, ils peuvent alors avoir quelques surprises : oui, dans ce village, a bien vécu un homme qui portait le nom cité par l’enfant, mari de telle femme, père de tels enfants, mort de façon brutale à telle période. Il arrive même que l’enfant actuel  reconnaisse sa femme, ses enfants, des objets lui ayant appartenu dans son existence  précédente, voire même livre un détail troublant : telle somme d’argent qu’il avait cachée sous le parquet dans sa vie antérieure  s’y trouve effectivement encore si on soulève la latte…

Les travaux de Stevenson ont placé réincarnation dans le champ d’étude de la science. Si on ne trouve pas en eux une preuve irréfutable de la réincarnation, de tels travaux ébranlent néanmoins fortement les certitudes hostiles à la transmigration, celles fondées sur le seul dogme, qui dans l’histoire humaine a toujours servi l’obscurantisme.

2222 Le mode de détection de certains maitres 

Nous avons déjà souligné que les réminiscences de vies antérieures sont des phénomènes reconnues  dans les milieux imprégnés des traditions hindoue, jaïne ou bouddhiste.

Il existe toutefois une spécificité remarquable - à notre connaissance unique - dans le bouddhisme tibétain quant à l’utilisation qui est faite de la réincarnation : la révélation de souvenirs de la vie immédiatement antérieure joue un rôle déterminant dans la détection des maitres qui sont appelés à guider les autres êtres et à assurer de hautes responsabilités, telles que la direction de monastères.

De tels êtres, appelés tulkous, sont délivrés du cycle des renaissances. Par pure compassion, ils décident néanmoins de revenir sur terre pour nous permettre d’avancer sur le chemin de la Libération.

La procédure qui permet de détecter de tels êtres comprend le recueil de différents « signes » qui ne peuvent être perçus et compris que par des personnes disposant elles-mêmes de capacités élevées. Ainsi, seul un être à l’esprit pur peut reconnaitre un autre esprit lui-même dépourvu de toute souillure.

Mais le mode de sélection comprend aussi la collecte de données objectives qui peuvent donc être acceptées par tout un chacun. Certains maîtres donnent ainsi, de leur vivant, des indications écrites ou orales sur le lieu de leur renaissance, voire sur leur future famille. Mais l’épreuve la plus convaincante porte sur la reconnaissance d’objets. Le film Kundun de Martin Scorsese, a très bien montré cette phase de la procédure : sur une table, différents objets personnels ayant appartenu au XIIIe Dalaï Lama se trouvent posés, mélangés à d’autres, étrangers: plusieurs paires de lunettes, différentes canes, rosaires, cloches, tambours, sont ainsi proposés à l’enfant. Et celui-ci choisit sans se tromper les différents objets de sa précédente incarnation. Il a une connaissance directe qui ne passe pas par le raisonnement.

Comme nous l’avons indiqué, les critères objectifs ne sont pas les seuls pris en compte dans ce mode de détection : le ressenti particulier que perçoivent les Lamas qui approchent l’enfant, le charisme qui se dégage de lui, sa maturité étonnante,  les visions du Régent Réting, ne sont pas des données mesurables, quantifiables. Ces éléments sensibles sont pourtant déterminants pour parvenir à la certitude d’avoir découvert le bon enfant.

Aux esprits matérialistes, ou sceptiques, on pourra avancer un argument de bon sens : ce mode de recrutement des élites, si original, s’avère finalement très performant. Il semble même bien  valoir le nôtre fondé sur la compétition et l’accès aux Grandes Ecoles parisiennes. Compte tenu des capacités intellectuelles hors du commun manifestées par les êtres qui sont ainsi détectés, de l’ampleur de la tâche qu’ils accomplissent quotidiennement (enseignement, direction de structures), pour se limiter aux seules données aisément quantifiables, il est certain que ces personnes disposent à la naissance de capacités hors du commun. Qu’un petit paysan, issu de la province pauvre de l’Amdo, soit devenu chef d’Etat, prix Nobel de la Paix, autorité morale internationalement reconnue, voilà bien une prouesse d’un mode de recrutement et d’un système éducatif qui mériterait d’être étudié !

Pour rester sur le plan uniquement rationnel, on peut estimer que si le résultat d’un processus apparait excellent, les bases sur lesquelles un tel système est conçu ne sont peut-être pas dépourvues de valeur ?

Conclusion


Notre objectif ici n’est pas de démontrer l’existence de la réincarnation, mais simplement d’apporter des éléments qui puissent éclairer une réflexion libre et sereine. Tous les points de vue – arguments, contre-arguments - méritent d’être examinés avec attention. Sans un tel effort d’analyse nous ne saurions avoir qu’un vague avis, qu’un autre avis, non moins vague, viendrait aisément remplacer.

Certains retrouveront peut-être espoir, soulagement, ou courage pour affronter les inévitables épreuves de la vie. Je le souhaite du fond du cœur : c’est à eux que cet article est dédié. Puissent-ils trouver un peu de lumière et de réconfort dans ces lignes et qu’ils sachent qu’une voie de Libération existe, éloignée autant du néant matérialiste que du dogmatisme obscurantiste.

Christian Ledain
Christianledain@wanadoo.fr

Notes :


* Pascal, Pensées, Commencement, 154, Le Guern, édition de la Pléiade)

* Baudelaire, Une charogne, Spleen et Idéal, Les Fleurs du Mal

③ Traduction française du groupe nominal Bhagavad Gitâ

L’épitre aux Hébreux a été pendant très longtemps attribuée à Saint Paul de Tarse. Elle se trouve ainsi traditionnellement placée dans le Nouveau Testament après les lettres écrites par cet auteur. Cependant, cette attribution est maintenant mise en doute car, comme l’affirme Jean Grosjean dans sa notice introductive (Nouveau Testament, Epitre aux Hébreux, Notice, p.755, édition de la Pleiade, 1971) : « elle a une parenté de pensée mais non de style » avec les épitres de Paul.  « On songerait plutôt maintenant à Apollos ».

* Rédigée dans le cadre du concile de Vatican II, le texte Lumen Gentium (1964) fixe La constitution dogmatique sur l’Eglise. Le chapitre VII, 48, sur le Caractère eschatologique de la vocation chrétienne reprend les termes de l’Epitre aux Hébreux : « Ignorants du jour et de l’heure, il faut que, suivant l’avertissement du Seigneur, nous restions constamment vigilants pour pouvoir, quand s’achèvera le cours unique de notre vie terrestre (cf. He 9, 27), être admis avec lui aux noces et comptés parmi les bénis de Dieu (cf. Mt 25, 31-46), au lieu d’être, comme les mauvais et les paresseux serviteurs (cf. Mt 25, 26) écartés par l’ordre de Dieu vers le feu éternel (cf. Mt 25, 41), vers ces ténèbres du dehors où « seront les pleurs et les grincements de dents » (Mt 22, 13 ; 25, 30). » 

*  Le Catéchisme de l’Eglise catholique, publié en 1992, expose de façon concise la foi, le dogme et les règles morales de l’Eglise. A propos de la réincarnation il renvoie à l’Epitre aux Hébreux et à Lumen Gentium : «    1013   Quand a pris fin « l’unique cours de notre vie terrestre » (LG 48), nous ne reviendrons plus à d’autres vies terrestres. « Les hommes ne meurent qu’une fois » (He9, 27). Il n’y a pas de réincarnation après la mort. »

 


*  Traduction de l’aphorisme 18, du cahapitre , III Des Résultats, des Yoga Sutra de Patanjali :  « Samskâra-sâshâtkaranât pûrva-jâtijnanam » 

Schnetzler Jean-Pierre « De la mort à la vie » Transmigration et Réincarnation, Faits et théories, Editions Dervy,2000

⑨*Stevenson Ian, «  20 cas suggérant le phénomène de réincarnation », Poche, collection J’ai Lu, 2007

Bibliographie :


Barou jean-pierre et Crossman Sylvie, « Tibet, une histoire de la conscience », Seuil, 2010

Le Catéchisme de l’Eglise catholique, publié en 1992, disponible sur internet

Dalaï Lama, « Ma terre et mon peuple » (trad. Yves Massip), Paris, éditions John Didier, 1963

« Epitre aux Hébreux », Nouveau Testament, Notice Jean Grosjean, Pleiade, 1971

Stevenson Ian, «  20 cas suggérant le phénomène de réincarnation », Poche, collection J’ai Lu, 2007


 

« La Bhagavad Gîta », trad A-M. Esnoul et O. Lacombe, Le Seuil, Points Sagesses, 1976

Lumen Gentium, La constitution dogmatique sur l’Eglise  (1964), disponible sur internet                         

Pascal Blaise, Pensées, Le Guern, édition de la Pléiade

Phan-Chon-Tôn, « Le Yoga de Patanjali », Ed. Adyar, coll. Hindouisme, 2000

Schnetzler Jean-Pierre « De la mort à la vie » Transmigration et Réincarnation, Faits et théories, Editions Dervy,2000

 Filmographie :


Kundun, de Martin Scorsese  (1997)

Ujjayi Pranayama

Les Yogis identifient plusieurs causes aux problèmes de santé dont souffrent les êtres humains. Certains troubles ont ainsi une origine lointaine et sont la conséquence d’actes négatifs antérieurs.  Le remède véritable consistera donc à purifier l’esprit de ses souillures.
La seconde cause, plus proche, est d’ordre énergétique : une circulation incorrecte de l’énergie vitale dans le corps subtil entrainera à moyen terme un trouble de la santé. Les pratiques du Pranayama (Maîtrise du souffle subtil) fournissent des remèdes très puissants et variés pour traiter ces difficultés.
Enfin, les troubles de la santé peuvent avoir une cause matérielle très proche et résulter de conditions de vie néfaste : mauvaise alimentation, pollution, contamination par une bactérie, un virus… Si la médecine traditionnelle indienne a développé depuis longtemps des remèdes, la puissance des traitements déployés par la médecine occidentale moderne est universellement reconnue.
Comme on le perçoit aisément, ces trois approches se complètent et s’enrichissent mutuellement. La première orientation est à la fois spirituelle et psychologique, la seconde énergétique et la dernière matérielle.
Dans la mesure où l’être humain est composé d’un esprit, d’un corps énergétique et d’un corps physique, une approche globale du soin nécessiterait de n’exclure aucune de ces trois dimensions, qui sont d’ailleurs en étroite relation les unes avec les autres.
Ujjayi constitue l’une des techniques énergétiques les plus surprenantes. En dépit de son caractère extrêmement efficace beaucoup d’Occidentaux rechignent à la mettre en œuvre, sans doute en raison d’un blocage psychologique : Ujjayi fait produire un son rauque avec la gorge que d’aucuns peuvent trouver disgracieux, voire incongru. Mais les Yogis se soucient assez peu des convenances sociales, si leur santé est à ce prix.
Selon l’étymologie la plus fréquemment retenue, Ujjayi signifie « victorieux » en sanskrit, ce qui laisse en suspens la question naturelle : « victorieux, mais de quoi ? ». Pour les Yogis, Ujjayi pranayama permet de triompher de la maladie, de la vieillesse et de la mort. Cela signifie concrètement que, grâce à la puissance thérapeutique de cette technique, de nombreuses maladies vont pouvoir être mises à distance, le vieillissement du corps sera retardé et la vie de l’adepte sera ainsi prolongée au-delà des limites fréquemment admises.
Il est bien évident que si cet exercice se trouve mis en œuvre dans le cadre d’une pratique spirituelle authentique, comme c’est traditionnellement le cas, les vertus d‘Ujjayi Pranayama se trouveront décuplées.
Ujjayi pranayama constitue donc une des pratiques de longue vie les plus célèbres et les plus efficaces.

1.      Une pratique confidentielle


Ujjayi ne peut être mise en œuvre de façon sécurisée qu’à condition de respecter scrupuleusement plusieurs principes.
Tout d’abord, le pratiquant doit être inspiré par une motivation véritablement pure. Au minimum, les adeptes du Yoga cherchent à se libérer de leurs difficultés et à atteindre un excellent état de santé. Les pratiquants authentiques aspirent même à développer de grandes capacités pour aider de façon puissante et désintéressée tous les êtres vivants. Par conséquent, toute personne qui serait inspirée par une motivation futile (accroitre sa capacité respiratoire pour faire de l’apnée), ou franchement mauvaise (développer des pouvoirs pour nuire à autrui), en subirait immanquablement des conséquences rigoureuses.
Compte tenu de la puissance d’ Ujjay Pranayama, les instructions de pratique doivent être respectées rigoureusement. Elles sont heureusement très faciles à comprendre et à mémoriser.
Comme il s’agit d’une pratique de maitrise du souffle subtil, ses bienfaits vont se déployer essentiellement à moyen terme. La mise en œuvre d’Ujjayi, comme nous le verrons, ne peut être que progressive et requiert donc un peu de patience. Les personnes pressées auront grand intérêt à se détourner de cet exercice.

2.      Une mise en œuvre sécurisée


Comme toutes les techniques de Pranayama, Ujjayi se pratique habituellement en posture méditative. Cependant, le Hatha Yoga Pradipika et Swami Shivananda relèvent qu’elle peut être accomplie debout, soit en position statique, soit en marchant. Dans ces deux cas, Jalandhara bandha ne sera pas placé (cf . Commentaire du HYP).
On veillera à ce que la colonne vertébrale reste bien droite pour permettre la circulation correcte des souffles subtils. Si la colonne fait l’objet d’une déformation (scoliose), on fera du mieux possible : on redressera le dos et on se représentera mentalement la colonne parfaitement verticale.
Trois phases de la pratique doivent être dissociées :

. l’inspiration


Il s’agit de la phase la plus spectaculaire, mais non de la plus importante.
Ujjayi Pranayama est immédiatement reconnaissable au son qu’il produit. L’air est inspiré lentement, régulièrement, par les deux narines jusqu’à ce que les poumons soient remplis complètement. Cette inspiration se fait en obturant pour partie la glotte qui est le passage qu’emprunte l’air inspiré après son entrée dans l’arrière-gorge (pharynx), juste avant sa descente dans le larynx. Le rétrécissement du passage de l’air induit par Ujjayi produit une vibration qui provoque ce bruit si caractéristique.
D’ailleurs, en posant délicatement les doigts d’une main sur le bas de la gorge, quelques centimètres sous le menton, on peut aisément sentir que c’est en cet endroit que la vibration se trouve émise.
.
Pour réaliser à coup sûr l’inspiration correcte, imaginez que vous inspirez directement par le bas de la gorge, comme si vous aviez subi une trachéotomie. C’est certain, présenté ainsi, c’est peu engageant mais, cela me permet immédiatement de pratiquer de façon juste ! Si cela vous convient mieux vous pouvez penser à cette réflexion d’une personne qui m’entendait pratiquer : « Mais, c’est la respiration de Dark Vaddor ! »
Certains produiront le son d’une mobylette pétaradant, d’autres croiront entendre le son d’un animal marin, du genre « baleine en détresse » : ne vous laissez pas impressionner. Si c’est « bizarre », c’est à coup sûr juste ! .

. la rétention de souffle


Une fois les poumons pleins, on installe les trois bandhas (verrous) qui orientent le flux énergétique de façon particulière : jalandhara en déglutissant et abaissant le menton, uddiyana en contactant les abdominaux et muladhara en contractant vigoureusement le périnée. L’air retenu se trouve ainsi enfermé et puissamment canalisé.
Cette phase est la plus importante et doit être accomplie avec vigilance. La rétention du souffle ne doit, en effet, pas être molle, indolente, accomplie sans effort car les résultats seraient alors superficiels, presqu’inexistants. Cependant, l’effort produit ne doit pas être brutal, violent, excessif. La rétention doit ainsi, à chaque instant, être maintenue sans jamais excéder les capacités de l’adepte.
Pour être certain de pratiquer correctement il faut relâcher l’air quand on perçoit que c’est nécessaire. Pour cela, une approche progressive est indispensable. Ainsi, quand on découvre la pratique on ne retient l’air que quelques secondes parce que notre organisme nous enjoint d’expirer. Quand on est un peu plus entrainé, on doit toujours pratiquer avec la vigilance du débutant : la rétention dure sans doute un peu plus longtemps, mais on expire toujours au moment précis où l’on ressent que cela est nécessaire. Il faut donc absolument éviter de « vouloir faire un chrono » ! Les amateurs de compétition doivent se détourner immédiatement d’Ujjayyi, leur esprit n’est pas prêt. Ujjayyi ne peut être abordée qu’avec la patience et l’application qui commande à la maitrise d’un éléphant sauvage. Le Prana qui siège dans le cœur peut être maitrisé par le Yogi à la condition de s’appliquer avec un effort maitrisé. Sans quoi le cœur sera brisé !

. l’expiration


On obture la narine droite avec le pouce droit et l’on expire à gauche. L’expiration doit être accomplie lentement. Elle devrait durer deux fois plus longtemps que l'inspiration. Cette indication est fondamentale car toute expiration rapide amènerait le pratiquant à perdre de sa force.
L’expiration doit, en outre, être régulière, menée sans à-coup, sur un tempo uniforme.
Elle doit, enfin, être complète, c’est-à-dire conduire à un vidage total des poumons.
Une fois ce cycle accompli, on recommence.
Accomplie cinq minutes par jour, cette pratique est excellente et procure de grands bienfaits.

3.      Des résultats étonnants


Ce Pranayama permet tout d’abord d’équilibrer les trois éléments constitutifs de notre corps selon la médecine traditionnelle indienne. En particulier Ujjayi Pranayama traite les maladies qui procèdent d’un déséquilibre de l’élément feu et de l’élément air.
Ujjayyi Pranayama élimine les différentes affections du système respiratoire, non seulement les troubles concernant la zone des fosses nasales, du pharynx et du larynx, mais aussi les maladies pulmonaires. Ujjayi sera ainsi particulièrement précieux pour traiter les allergies respiratoires dues à la présence d’un composant particulier dans l’air, ainsi que l’asthme, la rhinopharyngite, l’angine, la bronchiolite, le rhume.
Par ailleurs, Ujjayi « abolit les défauts des nadis »(* HYR ,53). Cette pratique permet ainsi de corriger la structure des canaux à l’intérieur desquels l’énergie circule. En effet, avec l’âge, le corps énergétique, tout comme le corps physique, se dégradent. La mise en œuvre d’Ujjayyi permet ainsi de lui conserver son intégrité.
Certains troubles mentaux se trouvent grandement soulagés : état dépressif, anxiété, crise de nerfs.
Le feu digestif est déployé, ce qui permet une excellente assimilation des aliments, tant en ce qui concerne leurs constituants chimiques que le Prana qu’ils recèlent. Ceci se traduit extérieurement, selon Swami Shivananda, par l’obtention d’une belle couleur de peau, d’un très joli teint.

conclusion


Ujjayi Pranayama s’adresse aux pratiquants authentiques, seuls inspirés par les objectifs élevés du Yoga. Sa mise en œuvre requiert patience et application. Mais ses vertus sont étonnantes : elles changeront profondément, et pour le meilleur, votre vie.
Christian Ledain
 
Bibliographie :
André van Lysebeth, Pranayama, Flammarion,  chapitre sur Ujjayi , pages-221-228
Swami Shivananda, La science du Pranayama, Centre International de Yoga Védanta, P.78
Hatha Yoga Pradipika, édition Fayard, IIe partie, versets 51 à 53

COURS DE HATHA YOGA