mardi 16 août 2016

VRIKSHASANA


Vrishasana constitue l’une des grandes postures du Hatha Yoga. Pas uniquement en raison de son aspect esthétique, mais compte tenu des effets très puissants et bénéfiques qu’elle procure.

1.      Signification

L’arbre (Vriksha, en sanskrit) symbolise l’être humain, en Inde, comme d’ailleurs dans toute civilisation. Et un tel rapprochement nous est, en France, particulièrement familier grâce à une célèbre fable① de Jean De La Fontaine : « Celui de qui la tête au ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts *» désigne non seulement le Chêne, mais aussi l’homme orgueilleux.

Il est important de s’arrêter à la signification du nom de la posture Vrikshasana. On pourrait juger cela inutile et penser : « Foin de toutes cette érudition inutile, passons vite à l’action ! » Mais sans compréhension véritable de la posture, on n’en aurait qu’une pratique erronée.

Les Yogis ont veillé précautionneusement à ce que leur science ne tombe pas en n’importe quelles mains. Pour cela, ils ont parfois donné des noms sibyllins à certaines postures (Paschimotanasana②, étirement de l’ouest). Parfois, ils leur ont donné un nom au sens manifeste, qui dissimule, un sens ésotérique profond. Tel est ici le cas.

La position debout dans laquelle se trouve l’être humain correspond tout à la fois à sa position corporelle et à son projet de vie. Touchant la terre, l’homme se trouve pleinement ancré dans le monde matériel et ses passions. Mais, tourné vers le ciel, il aspire à s’élever et à utiliser son énergie pour atteindre les réalisations les plus hautes.

Ainsi, Vrikshasana s’annonce comme un moyen précieux pour nous permettre de nous développer et réaliser pleinement notre nature. Tel est le sens manifeste de la posture.

Mais comment atteindre un tel objectif ? Le sens manifeste ne nous le dit pas. Il faut donc accéder à une signification ésotérique. Comment la trouver ? Il est nécessaire pour cela de dépasser la simple analogie formelle entre l’homme et l’arbre. Car si l’homme se contente de poser ses pieds sur la terre, l’arbre fait bien plus que cela : il s’y enfonce profondément par ses racines.

En sanskrit, le mot « racine » se dit « mula », terme que l’on retrouve dans le nom composé muladhara chakra : le centre énergétique (chakra) situé à la racine (mula) de la base (adhara). La posture Vrikshasana nous invite donc à activer l’énergie située à la base du coccyx.

Le sens de la posture commence ainsi à s’éclaircir : grâce à la mobilisation de l’énergie placée au niveau du périnée, et à son élévation à l’intérieur de la colonne vertébrale, le pratiquant va réaliser sa nature profonde.

Mais se pose alors une nouvelle question : comment fait-on pour activer correctement cette énergie ? Cela suppose une excellente concentration. Et comment réaliser cette concentration qui nous fait tellement défaut ? Précisément, en pratiquant Vrikshasana ! Il suffit, en effet, d’adopter cette posture durant quelques secondes pour percevoir qu’elle requiert toute notre attention.

Il existe de nombreuses postures dites « méditatives », propices au développement de la concentration : lotus (padmasana), demi-lotus (ardha-padmasana), posture parfaite (siddhasana), voire tailleur (sukkhasana). Dans un de ces attitudes, si l’esprit est distrait, il n’arrive cependant rien de grave à notre corps : il demeure stable, tandis que notre esprit bat la campagne. Par contre, dans la posture de l’arbre, si l’esprit s’éloigne ne serait-ce qu’une fraction de seconde de son support de concentration, c’est le déséquilibre de notre corps et sa chute ! Pour ne pas tomber, nous sommes ainsi contraints, par la force des choses, d’être pleinement concentrés. Vrikshasana représente donc un excellent moyen pour développer la fixation de l’esprit en un seul point (dharana), l’une des phases avancées du Hatha Yoga.

La signification du nom de la posture est devenue maintenant parfaitement claire : grâce à Vrikshasana, l’être humain développe sa concentration, indispensable à l’éveil de l’énergie dont l’activation va lui permettre de réaliser sa nature authentique. Pour un pratiquant hindou il s’agira d’« unir son âme à Dieu » ; pour un adepte du bouddhisme ce sera « réaliser pleinement sa nature de Bouddha » ; tandis qu’un athée humaniste pensera :« devenir pleinement humain ».

Passons maintenant à la mise en œuvre pratique de la posture.

2.      TECHNIQUE

21. Idée générale

D’un point de vue physique, ce qui doit être réalisé dans la posture est très simple : décoller un pied du sol. Que ce pied soit soulevé d’un centimètre, placé contre le genou, ou contre le haut de la cuisse opposée est finalement secondaire.

Une telle affirmation a besoin d’être justifiée car elle va à l’encontre de la représentation communément donnée de cette posture. En effet, chaque fois que des pratiquants du Yoga se trouvent photographiés en Vrikshasana, ils sont montrés avec un pied plaqué contre le haut de la cuisse.

Dans notre vie quotidienne, quand nous nous tenons debout, nos deux pieds reposent bien au sol. Notre corps est alors stable et nous n’avons pas même besoin de penser à préserver notre équilibre : cela se fait spontanément. Par contre, dès lors qu’un de nos pieds ne repose plus sur le sol, toute notre vigilance est requise pour ne pas tomber.

L’objectif principal de cette posture est précisément celui-ci : nous placer dans une attitude corporelle qui nous oblige à focaliser totalement notre esprit. Pour certaines personnes cet objectif sera atteint en ayant le pied placé à un centimètre du sol, pour d’autres à 5 centimètres, pour d’autres encore le pied sera placé contre le genou, d’autres enfin mettront le talon au périnée. Il n’y a donc pas d’attitude unique, exclusive. Il n’y a que des attitudes personnalisées, adaptées, actualisées en fonction des capacités du moment de chacun.

Parfois, une grande aisance physique n’est pas un gage de réussite. Ainsi, une personne filiforme et très musclée parviendra aisément à rester debout, le pied soulevé à 5 centimètres du sol. Et ce placement corporel lui paraitra tellement facile à réaliser qu’il ne requerra quasiment aucune attention de sa part. Par conséquent, cette personne risque de générer très rapidement de la distraction et de l’agitation mentale, ce qui la fera passer complétement à côté de la posture. Pour que son esprit soit dompté, cette personne doit nécessairement lever plus nettement le pied, et le poser au niveau du genou, ou contre la cuisse.

Inversement, une personne dont les capacités physiques sont moyennes pourra réaliser pleinement la posture sans accomplir d’exploit corporel. Ainsi, une personne âgée, un jeune enfant, ou une personne souffrant d’un trouble de l’oreille interne, ne devront soulever le pied que de quelques centimètres afin de préserver leur sécurité. Et ceci nécessitera toute son attention. Ce faisant, ces personnes pratiqueront de façon totalement authentique, unissant le travail du corps et celui de l’esprit. 

Comprendre que l’apparence extérieure ne révèle en rien le niveau de la pratique permet d’être totalement décomplexé à l’égard de notre corps et de ses performances modestes.

Pour ces raisons, nous allons présenter différentes variantes, correspondants à plusieurs niveaux de difficultés physiques, tous corrects, dès lors que celui que vous adoptez correspond pleinement à vos aptitudes du moment.

22. Phase préparatoire : positionner le corps et placer l’esprit

Au départ, le pratiquant est installé en Namaskarasana. Les deux pieds sont rassemblés, parallèles. Le bassin est basculé, ce qui atténue la courbure de la région lombaire. Le placement particulier du bassin permet, en outre, d’avoir une sensation très claire d’enracinement, d’encrage au sol. On prend bien le temps de ressentir l’appui des orteils et des plantes de pied au sol.

L’attention est placée quatre travers de doigts sous le nombril.

Les deux mains sont jointes, en salut devant la poitrine. On veille à bien détendre le haut du corps, en particulier les sourcils, les mâchoires et les épaules. L’attention et l’énergie peuvent alors plus facilement se diriger vers le bas du corps.

A l’issue de cette phase préparatoire, le corps et l’esprit sont stabilisés. On accentue alors cet ancrage en s’identifiant à un arbre : on imagine qu’on enfonce nos racines profondément dans le sol et que l’on devient indéracinable. Ferme dans le bas du corps, puissamment amarré à la terre, tout en demeurant pleinement détendu dans le haut, tel un arbre qui laisse son branchage et son feuillage se balancer au vent. Faire coïncider fermeté et détente est indispensable. En effet, la fermeté sans la détente est d’origine rajasique③, et aboutit à la crispation physique et mentale. Tandis que la détente sans la fermeté attise Tamas ④ pour engendrer mollesse et torpeur.

On va maintenant veiller à ne pas contrarier cette stabilité physique et mentale que l’on vient de susciter.

23. Installation dans la posture

·        Le placement du pied
Décoller le talon gauche en gardant les orteils au sol

Il est essentiel de bien dissocier chacune des phases suivantes, leur vitesse d’exécution étant, par ailleurs, secondaire. Dès lors, si l’esprit est posé, ces phases pourront s’enchainer rapidement. Si, par contre, cette stabilité mentale est superficielle et précaire, on procédera lentement pour mieux apaiser l’esprit.

On transfère alors progressivement tout le poids du corps sur le pied droit, tout en conservant le pied gauche au sol. C’est comme si la jambe et le pied gauches se vidaient progressivement, tandis que la jambe et le pied droits se remplissaient. A un moment donné, tout le poids du corps repose sur le pied droit.

On décide alors de soulever légèrement le talon gauche, en gardant encore les orteils au sol. Enfin, on les décolle de quelques millimètres. Ça y est, on sait que, d’un point de vue physique, la posture se trouve réalisée! Notre attitude n’a, certes, rien de spectaculaire, mais elle est juste et les principes fondamentaux du Yoga se trouvent respectés.

Dès lors, tout ce qui va suivre n’est qu’un prolongement, un approfondissement de ce qui a été réalisé.
Décoller les orteils du sol : la posture est adoptée !

Comme nous l’avons indiqué, les personnes dont l’équilibre physique est précaire veilleront à ne pas aller plus loin. Les autres veilleront à ne pas viser la performance technique, le « beau geste »artificiel et narcissique, mais trouveront l’attitude physique dans laquelle elles se sentent bien et dans laquelle elles peuvent demeurer longtemps.

Soyez pleinement arbre : enraciné, stable, paisible. Et ne faites pas le singe excité qui grimpe à l’arbre et fait l’acrobate ! Combien de personnes se hâtent de monter la jambe, de prendre la posture, sans rien avoir stabilisé, et redescendent tout à trac au bout de 10 secondes, l’esprit encore plus perturbé qu’avant!

Si l’on se sent très à l’aise, on peut monter le pied et le poser contre le genou opposé, voire même contre le haut de la cuisse, en prenant alors soin que le talon comprime le périnée. On veille alors bien à repousser le genou fléchi vers l’extérieur afin de bien ouvrir la hanche.

·        Les mains

Les mains peuvent être gardées en salut devant la poitrine, mais elles peuvent aussi être montées, les bras étant plaqués contre les oreilles.


Posture finale, mains en salut
Il est important lors de cette ascension de rester bien concentré car l’élévation des mains déplace le centre de gravité du corps.

Telle est la variante de la posture le plus souvent montrée, mais il en existe d’autres, que nous ne présenterons pas ici, plus difficiles à réaliser d’un point de vue technique.
Posture finale : bras plaqués contre les oreilles

·        Phase statique

Tout ce qui a été accompli jusqu’à présent ne représente qu’un travail préparatoire, l’installation dans la posture. Maintenant, pour réaliser véritablement celle-ci, lui permettre pleinement d’agir, il convient de demeurer en elle.

Durant cette phase statique plusieurs indications doivent être données concernant des aspects physiques, énergétiques et mentaux.

Aspects physiques :

Le regard est fixé sur un point et cette concentration du regard contribue fortement à affermir l’équilibre physique. Ce repère visuel peut être pris au sol, 3 mètres devant soi, le regard se trouvant légèrement incliné vers le bas. Mais ce point peut aussi être placé à hauteur des yeux, en fixant le mur situé en face de soi. Vous adopterez l’une ou l’autre de ces possibilités selon la configuration du lieu où vous pratiquez et ce que vous ressentirez comme étant approprié.

La respiration est consciente, régulière, pleinement épanouie.

Le pratiquant unit ainsi la stabilité générale du corps, celle du regard, de la respiration et de l’esprit.

Conserver la posture durant une minute constituera une très bonne base de départ. Au fur et à mesure que vos muscles se fortifieront, et que votre esprit se canalisera, vous pourrez passer à 2 minutes, puis trois, et ainsi de suite. Certains Yogis peuvent demeurer une heure dans cette posture, l’esprit dompté.

On pratiquera d’un côté, puis de l’autre, en commençant par le pied que l’on souhaite.

Aspects énergétiques :

Durant la phase statique, le périnée est maintenu contracté, comme si on voulait le tirer vers le haut.

Comme nous l’avons indiqué, si cela est possible, le talon comprime le périnée, ce qui contribue à l’activation de Muladhara Chakra.

Aspects mentaux :

On pense souvent que cela va être simple d’être en équilibre sur un pied.  « Pensez donc, un sot pourrait le faire ! » semble-t-on se dire. Et on découvre très vite que cela n’a rien d’aisé. Plus encore : Ce que l’on perçoit de soi - notre agitation, notre incapacité à demeurer paisiblement - ne nous fait pas précisément plaisir, et écorne l’image favorable que l’on avait de soi. On risquerait alors dans Vrikshasana de se décourager et de se dévaloriser. Ainsi, la posture requiert beaucoup de patience et d’humilité.

S’il nous arrive de perdre l’équilibre, n’en soyons pas affecté. Pensons que cela n’est pas grave et que cela constitue précisément « le travail de la posture ». Peut-être a- t-on été un peu distrait, précipité ou présomptueux. On se redresse simplement et on recommence. Et ainsi, en tâtonnant, on parvient à générer l’attitude juste vis-à-vis de soi-même. La posture nous fait alors évoluer intérieurement, elle nous transforme et nous permet de nous améliorer. Gardée suffisamment longtemps, Vrikshasana nous conduit à nous dépouiller de tout artifice, de toute la comédie sociale et à être authentique. La posture devient un moyen pour se trouver soi-même et connaitre ce dont nous avons vraiment besoin pour vivre. .

·        Les erreurs à ne pas commettre

Nous avons déjà indiqué que toute précipitation était à proscrire. On s’en rendra compte par soi-même : prise trop rapidement, l’esprit agité, la posture ne peut être ni gardée, ni même prise : on tombe immanquablement.

Il y a donc quelque chose de très rassurant et d’original avec Vrikshasana : on n’a pas vraiment besoin de se poser la question classique  « est-ce que je pratique de façon correcte ? » Car on obtient la réponse directement.

Seule précision technique utile à donner : si on parvient à monter le genou et à placer le pied sur le haut de la cuisse, le talon doit nécessairement presser le périnée.

Le dessin figurant ci-dessous montre donc une pratique qui pourrait être améliorée.

Le talon devrait être monté un peu plus pour être plaqué contre le périnée
3 BIENFAITS

·        Les bienfaits sur l’esprit

De façon générale, Vrikshasana permet de stimuler l’énergie vitale, d’accroitre la joie de vivre. Elle donne, en outre, les ressources intérieures essentielles pour faire face aux difficultés concrètes, matérielles de la vie quotidienne, et à se sentir véritablement incarné. On peut donc dire qu’elle convient à tous les êtres humains.

Dans un cadre thérapeutique, la posture est particulièrement recommandée aux personnes stressées, nerveuses et à celles dont l’esprit est instable.

Elle est aussi très profitable aux personnes fatiguées, ou dépressives.

Dans la mesure où Vrikshasana permet de développer la concentration, sa mise en œuvre est recommandée aux personnes souhaitant développer les siddhis⑤.

·        Les bienfaits physiques.

Grâce à la posture de l’arbre, le Yogi unifie en lui les trois qualités de la nature primordiale, les trois Gunas (Sattva, Rajas, Tamas). Ce faisant, il parvient à un excellent état de santé.

La posture contribue au renforcement de la musculature des jambes. En appui sur un pied, tous les muscles de la jambe correspondante se trouvent mobilisés pour assurer l’équilibre. On sent très facilement l’effort intense fourni dans le bas du corps. Et la fatigue ressentie dans cette région conduit très souvent à l’interruption de la posture.

L’élévation des bras tendus au-dessus de la tête permet une grande ouverture de la cage thoracique. Ceci contribue au déploiement de la respiration, et donc à une meilleure oxygénation des cellules de l’organisme.

CONCLUSION

La posture de l’arbre nous rappelle notre condition humaine : être un pont entre le ciel et la terre. Elle nous invite à nous élever, mais tout en nous enracinant. Aucun de ces deux pôles ne doit être oublié.

Vrikshasana constitue une posture majeure qui nous permet de développer la vitalité, la concentration, et de conquérir un état de santé excellent. Cet asana classique viendra donc s’insérer tout naturellement dans votre série journalière. Il prendra place en début de séance, après l’accomplissement des salutations au soleil (Suryanamaskar⑥). 

 

Notes

① Jean De La Fontaine, Fables, livre 1, XXII, Le Chêne et le Roseau

②Cf. notre article, Paschimotanasana, 2012

③④ Cf. notre article sur les Trois Gunas, 2016

⑤ Cf. notre article, Trois destinations et trois moyens d’action, paragraphe 12. Les Siddhi,

⑥ Cf. notre article Les différents niveaux de pratique dans la salutation au soleil, 2010 





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