Vrishasana constitue l’une des grandes postures
du Hatha Yoga. Pas uniquement en raison de son aspect esthétique, mais compte
tenu des effets très puissants et bénéfiques qu’elle procure.
1.
Signification
L’arbre (Vriksha,
en sanskrit) symbolise l’être humain, en Inde, comme d’ailleurs dans toute
civilisation. Et un tel rapprochement nous est, en France, particulièrement
familier grâce à une célèbre fable① de Jean De La Fontaine : « Celui
de qui la tête au ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l'empire
des morts *» désigne non
seulement le Chêne, mais aussi l’homme orgueilleux.
Il est important de s’arrêter à la signification du nom de la
posture Vrikshasana. On pourrait
juger cela inutile et penser : « Foin de toutes cette érudition inutile,
passons vite à l’action ! » Mais sans compréhension véritable de la
posture, on n’en aurait qu’une pratique erronée.
Les Yogis ont veillé précautionneusement à ce que leur science
ne tombe pas en n’importe quelles mains. Pour cela, ils ont parfois donné des
noms sibyllins à certaines postures (Paschimotanasana②,
étirement de l’ouest). Parfois, ils leur
ont donné un nom au sens manifeste, qui dissimule, un sens ésotérique profond. Tel
est ici le cas.
La position debout dans laquelle se trouve l’être humain correspond
tout à la fois à sa position corporelle et à son projet de vie. Touchant la
terre, l’homme se trouve pleinement ancré dans le monde matériel et ses
passions. Mais, tourné vers le ciel, il aspire à s’élever et à utiliser son
énergie pour atteindre les réalisations les plus hautes.
Ainsi, Vrikshasana
s’annonce comme un moyen précieux pour nous permettre de nous développer et réaliser
pleinement notre nature. Tel est le sens manifeste de la posture.
Mais comment atteindre un tel objectif ? Le sens
manifeste ne nous le dit pas. Il faut donc accéder à une signification
ésotérique. Comment la trouver ? Il est nécessaire pour cela de dépasser la
simple analogie formelle entre l’homme et l’arbre. Car si l’homme se contente
de poser ses pieds sur la terre, l’arbre fait bien plus que cela : il s’y enfonce
profondément par ses racines.
En sanskrit, le mot « racine » se dit « mula », terme que l’on retrouve
dans le nom composé muladhara chakra : le centre énergétique (chakra) situé à la racine (mula) de la base (adhara). La posture Vrikshasana
nous invite donc à activer l’énergie située à la base du coccyx.
Le sens de la posture commence ainsi à s’éclaircir :
grâce à la mobilisation de l’énergie placée au niveau du périnée, et à son
élévation à l’intérieur de la colonne vertébrale, le pratiquant va réaliser sa
nature profonde.
Mais se pose alors une nouvelle question : comment fait-on
pour activer correctement cette énergie ? Cela suppose une excellente
concentration. Et comment réaliser cette concentration qui nous fait tellement
défaut ? Précisément, en pratiquant Vrikshasana !
Il suffit, en effet, d’adopter cette posture durant quelques secondes pour percevoir
qu’elle requiert toute notre attention.
Il existe de nombreuses postures dites « méditatives »,
propices au développement de la concentration : lotus (padmasana), demi-lotus (ardha-padmasana), posture parfaite (siddhasana),
voire tailleur (sukkhasana). Dans un
de ces attitudes, si l’esprit est distrait, il n’arrive cependant rien de grave
à notre corps : il demeure stable, tandis que notre esprit bat la campagne.
Par contre, dans la posture de l’arbre, si l’esprit s’éloigne ne serait-ce
qu’une fraction de seconde de son support de concentration, c’est le
déséquilibre de notre corps et sa chute ! Pour ne pas tomber, nous sommes ainsi
contraints, par la force des choses, d’être pleinement concentrés. Vrikshasana représente donc un excellent
moyen pour développer la fixation de l’esprit en un seul point (dharana), l’une des phases avancées du
Hatha Yoga.
La signification du nom de la posture est devenue maintenant parfaitement
claire : grâce à Vrikshasana, l’être humain développe sa concentration,
indispensable à l’éveil de l’énergie dont l’activation va lui permettre de
réaliser sa nature authentique. Pour un pratiquant hindou il s’agira d’« unir
son âme à Dieu » ; pour un adepte du bouddhisme ce sera « réaliser
pleinement sa nature de Bouddha » ; tandis qu’un athée humaniste pensera :« devenir
pleinement humain ».
Passons maintenant à la mise en œuvre pratique de la posture.
2.
TECHNIQUE
21. Idée générale
D’un point de vue physique, ce qui doit être réalisé dans la
posture est très simple : décoller
un pied du sol. Que ce pied soit soulevé d’un centimètre, placé contre le
genou, ou contre le haut de la cuisse opposée est finalement secondaire.
Une telle affirmation a besoin d’être justifiée car elle va à
l’encontre de la représentation communément donnée de cette posture. En effet,
chaque fois que des pratiquants du Yoga se trouvent photographiés en Vrikshasana, ils sont montrés avec un
pied plaqué contre le haut de la cuisse.
Dans notre vie quotidienne, quand nous nous tenons debout,
nos deux pieds reposent bien au sol. Notre corps est alors stable et nous
n’avons pas même besoin de penser à préserver notre équilibre : cela se
fait spontanément. Par contre, dès lors qu’un de nos pieds ne repose plus sur
le sol, toute notre vigilance est requise pour ne pas tomber.
L’objectif principal de cette posture est précisément celui-ci :
nous placer dans une attitude corporelle qui nous oblige à focaliser totalement
notre esprit. Pour certaines personnes cet objectif sera atteint en ayant le
pied placé à un centimètre du sol, pour d’autres à 5 centimètres, pour d’autres
encore le pied sera placé contre le genou, d’autres enfin mettront le talon au
périnée. Il n’y a donc pas d’attitude unique, exclusive. Il n’y a que des attitudes personnalisées, adaptées, actualisées en fonction des capacités du
moment de chacun.
Parfois, une grande aisance physique n’est pas un gage de
réussite. Ainsi, une personne filiforme et très musclée parviendra aisément à
rester debout, le pied soulevé à 5 centimètres du sol. Et ce placement corporel
lui paraitra tellement facile à réaliser qu’il ne requerra quasiment aucune attention
de sa part. Par conséquent, cette personne risque de générer très rapidement de
la distraction et de l’agitation mentale, ce qui la fera passer complétement à côté
de la posture. Pour que son esprit soit dompté, cette personne doit nécessairement
lever plus nettement le pied, et le poser au niveau du genou, ou contre la
cuisse.
Inversement, une personne dont les capacités physiques sont
moyennes pourra réaliser pleinement la posture sans accomplir d’exploit
corporel. Ainsi, une personne âgée, un jeune enfant, ou une personne souffrant
d’un trouble de l’oreille interne, ne devront soulever le pied que de quelques
centimètres afin de préserver leur sécurité. Et ceci nécessitera toute son
attention. Ce faisant, ces personnes pratiqueront de façon totalement
authentique, unissant le travail du corps et celui de l’esprit.
Comprendre que l’apparence extérieure ne révèle en rien le
niveau de la pratique permet d’être totalement décomplexé à l’égard de notre
corps et de ses performances modestes.
Pour ces raisons, nous allons présenter différentes variantes,
correspondants à plusieurs niveaux de difficultés physiques, tous corrects, dès
lors que celui que vous adoptez correspond pleinement à vos aptitudes du moment.
22. Phase préparatoire : positionner le corps et placer
l’esprit
Au départ, le pratiquant est installé en Namaskarasana. Les deux pieds sont rassemblés, parallèles. Le
bassin est basculé, ce qui atténue la courbure de la région lombaire. Le
placement particulier du bassin permet, en outre, d’avoir une sensation très
claire d’enracinement, d’encrage au sol. On prend bien le temps de ressentir
l’appui des orteils et des plantes de pied au sol.
L’attention est placée quatre travers de doigts sous le
nombril.
Les deux mains sont jointes, en salut devant la poitrine. On
veille à bien détendre le haut du corps, en particulier les sourcils, les
mâchoires et les épaules. L’attention et
l’énergie peuvent alors plus facilement se diriger vers le bas du corps.
A l’issue de cette phase préparatoire, le corps et l’esprit
sont stabilisés. On accentue alors cet ancrage en s’identifiant à un arbre : on imagine qu’on enfonce nos racines profondément dans le sol et
que l’on devient indéracinable. Ferme dans
le bas du corps, puissamment amarré à
la terre, tout en demeurant pleinement
détendu dans le haut, tel un arbre qui
laisse son branchage et son feuillage se balancer au vent. Faire coïncider fermeté
et détente est indispensable. En effet, la fermeté sans la détente est d’origine
rajasique③, et aboutit à la
crispation physique et mentale. Tandis que la détente sans la fermeté attise Tamas ④ pour engendrer mollesse et
torpeur.
On va maintenant veiller à ne pas contrarier cette stabilité
physique et mentale que l’on vient de susciter.
23. Installation dans la posture
·
Le
placement du pied
Décoller le talon gauche en gardant les orteils au sol |
Il est essentiel de bien dissocier chacune des phases
suivantes, leur vitesse d’exécution étant, par ailleurs, secondaire. Dès lors,
si l’esprit est posé, ces phases pourront s’enchainer rapidement. Si, par
contre, cette stabilité mentale est superficielle et précaire, on procédera
lentement pour mieux apaiser l’esprit.
On transfère alors progressivement tout le poids du corps sur
le pied droit, tout en conservant le pied gauche au sol. C’est comme si la
jambe et le pied gauches se vidaient progressivement, tandis que la jambe et le
pied droits se remplissaient. A un moment donné, tout le poids du corps repose
sur le pied droit.
On décide alors de soulever légèrement le talon gauche, en
gardant encore les orteils au sol. Enfin, on les décolle de quelques millimètres.
Ça y est, on sait que, d’un point de vue physique, la posture se trouve réalisée!
Notre attitude n’a, certes, rien de spectaculaire, mais elle est juste et les
principes fondamentaux du Yoga se trouvent respectés.
Dès lors, tout ce qui va suivre n’est qu’un prolongement, un
approfondissement de ce qui a été réalisé.
Décoller les orteils du sol : la posture est adoptée ! |
Comme nous l’avons indiqué, les personnes dont l’équilibre
physique est précaire veilleront à ne pas aller plus loin. Les autres
veilleront à ne pas viser la performance technique, le « beau
geste »artificiel et narcissique, mais trouveront l’attitude physique dans
laquelle elles se sentent bien et dans laquelle elles peuvent demeurer
longtemps.
Soyez pleinement arbre : enraciné, stable, paisible. Et ne faites pas le singe excité qui grimpe à l’arbre et fait l’acrobate ! Combien de
personnes se hâtent de monter la jambe, de prendre la posture, sans rien avoir
stabilisé, et redescendent tout à trac au bout de 10 secondes, l’esprit encore
plus perturbé qu’avant!
Si l’on se sent très à l’aise, on peut monter le pied et le
poser contre le genou opposé, voire même contre le haut de la cuisse, en
prenant alors soin que le talon comprime le périnée. On veille alors bien à
repousser le genou fléchi vers l’extérieur afin de bien ouvrir la hanche.
·
Les
mains
Les mains peuvent être gardées en salut devant la poitrine,
mais elles peuvent aussi être montées, les bras étant plaqués contre les
oreilles.
Posture finale, mains en salut |
Il est important lors de cette ascension de rester bien
concentré car l’élévation des mains déplace le centre de gravité du corps.
Telle est la variante de la posture le plus souvent montrée,
mais il en existe d’autres, que nous ne présenterons pas ici, plus difficiles à
réaliser d’un point de vue technique.
Posture finale : bras plaqués contre les oreilles |
·
Phase
statique
Tout ce qui a été accompli jusqu’à présent ne représente
qu’un travail préparatoire, l’installation dans la posture. Maintenant, pour
réaliser véritablement celle-ci, lui permettre pleinement d’agir, il convient de
demeurer en elle.
Durant cette phase statique plusieurs indications doivent
être données concernant des aspects physiques, énergétiques et mentaux.
Aspects physiques :
Le regard est fixé sur un point et cette concentration du
regard contribue fortement à affermir l’équilibre physique. Ce repère visuel peut
être pris au sol, 3 mètres devant soi, le regard se trouvant légèrement incliné
vers le bas. Mais ce point peut aussi être placé à hauteur des yeux, en fixant
le mur situé en face de soi. Vous adopterez l’une ou l’autre de ces
possibilités selon la configuration du lieu où vous pratiquez et ce que vous ressentirez
comme étant approprié.
La respiration est consciente, régulière, pleinement épanouie.
Le pratiquant unit
ainsi la stabilité générale du corps, celle du regard, de la respiration et de
l’esprit.
Conserver la
posture durant une minute constituera une très bonne base de départ. Au fur et
à mesure que vos muscles se fortifieront, et que votre esprit se canalisera, vous
pourrez passer à 2 minutes, puis trois, et ainsi de suite. Certains Yogis
peuvent demeurer une heure dans cette posture, l’esprit dompté.
On pratiquera d’un côté, puis de l’autre, en commençant par
le pied que l’on souhaite.
Aspects
énergétiques :
Durant la
phase statique, le périnée est maintenu contracté, comme si on voulait le tirer vers
le haut.
Comme nous l’avons indiqué, si cela est possible, le talon
comprime le périnée, ce qui contribue à l’activation de Muladhara Chakra.
Aspects
mentaux :
On pense souvent que cela va être simple d’être en équilibre
sur un pied. « Pensez donc, un sot
pourrait le faire ! » semble-t-on se dire. Et on découvre très vite
que cela n’a rien d’aisé. Plus encore : Ce que l’on perçoit de soi - notre
agitation, notre incapacité à demeurer paisiblement - ne nous fait pas
précisément plaisir, et écorne l’image favorable que l’on avait de soi. On
risquerait alors dans Vrikshasana de
se décourager et de se dévaloriser. Ainsi, la posture requiert beaucoup de
patience et d’humilité.
S’il nous arrive de perdre l’équilibre, n’en soyons pas
affecté. Pensons que cela n’est pas grave et que cela constitue précisément « le travail de la posture ». Peut-être
a- t-on été un peu distrait, précipité ou présomptueux. On se redresse simplement
et on recommence. Et ainsi, en tâtonnant, on parvient à générer l’attitude
juste vis-à-vis de soi-même. La posture nous fait alors évoluer intérieurement,
elle nous transforme et nous permet de nous améliorer. Gardée suffisamment
longtemps, Vrikshasana nous conduit à
nous dépouiller de tout artifice, de
toute la comédie sociale et à être authentique. La posture devient un moyen
pour se trouver soi-même et connaitre ce
dont nous avons vraiment besoin pour vivre. .
·
Les
erreurs à ne pas commettre
Nous avons déjà indiqué que toute précipitation était à
proscrire. On s’en rendra compte par soi-même : prise trop rapidement,
l’esprit agité, la posture ne peut être ni gardée, ni même prise : on tombe
immanquablement.
Il y a donc quelque chose de très rassurant et d’original
avec Vrikshasana : on n’a pas
vraiment besoin de se poser la question classique « est-ce que je pratique de façon
correcte ? » Car on obtient la réponse directement.
Seule précision technique utile à donner : si on
parvient à monter le genou et à placer le pied sur le haut de la cuisse, le
talon doit nécessairement presser le périnée.
Le dessin figurant ci-dessous montre donc une pratique qui
pourrait être améliorée.
Le talon devrait être monté un peu plus pour être plaqué contre le périnée |
3 BIENFAITS
·
Les
bienfaits sur l’esprit
De façon générale, Vrikshasana
permet de stimuler l’énergie vitale,
d’accroitre la joie de vivre. Elle
donne, en outre, les ressources intérieures essentielles pour faire face aux difficultés concrètes,
matérielles de la vie quotidienne, et à se sentir véritablement incarné. On peut donc dire qu’elle convient
à tous les êtres humains.
Dans un cadre thérapeutique, la posture est particulièrement recommandée
aux personnes stressées, nerveuses et à celles dont l’esprit est
instable.
Elle est aussi
très profitable aux personnes fatiguées,
ou dépressives.
Dans la mesure où Vrikshasana
permet de développer la concentration,
sa mise en œuvre est recommandée aux personnes souhaitant développer les siddhis⑤.
·
Les
bienfaits physiques.
Grâce à la posture de l’arbre, le Yogi unifie en lui les
trois qualités de la nature primordiale, les trois Gunas (Sattva, Rajas, Tamas).
Ce faisant, il parvient à un excellent
état de santé.
La posture contribue au renforcement de la musculature des
jambes. En appui sur un pied, tous les muscles de la jambe correspondante se
trouvent mobilisés pour assurer l’équilibre. On sent très facilement l’effort
intense fourni dans le bas du corps. Et la fatigue ressentie dans cette région
conduit très souvent à l’interruption de la posture.
L’élévation des bras tendus au-dessus de la tête permet une
grande ouverture de la cage thoracique. Ceci contribue au déploiement de la
respiration, et donc à une meilleure oxygénation des cellules de l’organisme.
CONCLUSION
La posture de l’arbre nous rappelle notre condition
humaine : être un pont entre le ciel et la terre. Elle nous invite à nous
élever, mais tout en nous enracinant. Aucun de ces deux pôles ne doit être
oublié.
Vrikshasana constitue une posture majeure qui nous
permet de développer la vitalité, la concentration, et de conquérir un état de
santé excellent. Cet asana classique
viendra donc s’insérer tout naturellement dans votre série journalière. Il
prendra place en début de séance, après l’accomplissement des salutations au
soleil (Suryanamaskar⑥).
Notes
① Jean De La Fontaine, Fables, livre
1, XXII, Le Chêne et le Roseau
②Cf. notre article, Paschimotanasana,
2012
③④ Cf. notre article sur les Trois
Gunas, 2016
⑤ Cf. notre article, Trois
destinations et trois moyens d’action, paragraphe 12. Les Siddhi,
⑥ Cf. notre article Les
différents niveaux de pratique dans la salutation au soleil, 2010